Gil Rigoulet : “c’est l’artiste qui prend des décisions, ce n’est pas l’appareil qui agit”
Rencontre avec Gil Rigoulet, photographe de renom depuis plus de quarante ans. Ayant voyagé à travers le monde et travaillé pour de prestigieux journaux, Gil nous parle de ses différents projets.
Quel est votre parcours ?
Je voulais être styliste et peintre, j’ai passé les concours pour les écoles d’art mais j’ai été refusé à cause de mon daltonisme. Alors j’ai acheté un appareil photo et je suis parti à Perpignan pendant deux ans. C’est là que j’ai commencé la photo. Je suis ensuite remonté en Normandie à Évreux, où je connaissais un peu tout le monde. Je faisais des photos au stade et quelqu’un m’a proposé de travailler pour le journal local, La Dépêche. J’avais le droit à deux pages, c’était assez conséquent pour l’époque. J’ai traité des sujets comme les postiers de nuit, l’American Circus… J’y suis resté une dizaine d’années et petit à petit, j’ai proposé mes photos à des magazines parisiens. À ce moment là, le journal Le Monde commençait à s’ouvrir à la photographie. Avec le secrétaire de rédaction Michel Guérin, j’ai construit les nouveaux suppléments du Monde à partir de 1984. J’y ai passé vingt ans et dans le même temps j’ai travaillé avec d’autres groupes de presse comme Géo ou Grands Reportages, ce qui m’a amené à beaucoup voyager.
Depuis quand faites-vous de la photo et quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ?
Ce n’était pas un vrai choix, ça s’est passé comme ça grâce à cette rencontre au stade d’Évreux. Après je n’ai plus fait que de la photo. J’aurais pu passer aux films, aux documentaires, mais je n’ai pas voulu. Je trouvais que la photo avait un impact plus fort et moins diffus. Une photo marque l’esprit, elle a une valeur visuelle. Le documentaire c’est quelque chose qui passe, on le regarde pendant 50 minutes mais ça ne reste pas visible.
De quoi parle votre livre Rockabilly 82 ?
À la base, c’est une série de photos que j’ai faite en 1982 à Évreux. Il y avait une brochette d’hommes avec d’immenses bananes à la Marjerin et je leur ai demandé si je pouvais les photographier. Nous avons créé des liens et je les ai suivis dans leurs sorties. Cette série est parue dans La Dépêche à l’époque puis est restée dans mes archives pendant plus de trente ans. Ensuite j’étais très souvent à l’étranger et je travaillais également en France, je n’avais pas le temps de m’en occuper. Quand j’ai arrêté de collaborer avec la presse en 2007, j’ai pu remettre le nez dans mes archives. En 2016, on a publié ce livre. C’est un sujet unique en France, la vie d’une bande de rockabillies de province. Cette série est également sortie dans le Guardian en Angleterre et aux États-Unis. On en aussi fait un documentaire l’année dernière pour France 3. Récemment j’ai retrouvé ces hommes, et on va faire un nouveau livre sur le sujet pour voir ce qu’ils sont devenus.
Vous avez travaillé autour de la nature, des légendes, pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai commencé un travail au Polaroïd noir et blanc en 1996 au travers d’une idée qui m’est venue quand j’ai voyagé en Australie. Je me suis intéressé aux Aborigènes et à leur regard sur la nature. Par exemple, ils ont des pistes qu’ils appellent le chemin du rêve dans lequel on voit des rochers auxquels on attribue la mémoire de tel ou tel chef… Tous leurs itinéraires sont habités et c’est une croyance très forte là-bas. Je me suis alors posé la question suivante : quels étaient les paysages de croyance en France au temps des païens ? On a pu répertorier beaucoup de lieux mais certains ont été détournés par les romains puis les catholiques comme le Mont-Saint-Michel par exemple. Mais d’autres n’ont pas été recouverts comme les pierres jaunâtres dans le Berry. Mon travail repose sur les légendes et les croyances reliées à la nature.
Quel est le thème que vous préférez aborder ?
Je n’ai pas un thème préféré. Certaines thématiques reviennent fréquemment comme corps et eau par exemple que j’ai abordé d’abord de manière sociale puis de plus en plus sous un angle esthétique. Il y a aussi les Polaroïds qui représente un immense travail depuis 2014 ou encore les paysages en mouvement, que je traite depuis 1970 sur les paysages vus depuis l’intérieur d’une voiture.
Vous travaillez pour la presse depuis 1975, qu’est-ce que les progrès technologiques en matière de photographie ont changé à votre travail ?
Strictement rien du tout ! Je travaille toujours de la même façon, avec de l’argentique. J’aime avoir quelque chose de tangible dans la main, je ne supporte pas l’immatérialité des photos sur disque dur. Il y a aussi un rapport à la concentration : dans la mesure où tu peux prendre autant de photos que tu veux, tu te dis “je vais chercher”, tu laisses l’appareil tourner. Mais le processus de création ce n’est pas ça, c’est l’artiste qui prend des décisions, qui cadre, ce n’est pas l’appareil qui agit.
Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Je n’arrête pas ! Je traite mes archives, elles sont extrêmement conséquentes, ça va me prendre des années. Je travaille aussi sur ma série polapool, sur le thème corps et eau, ou des portraits de femmes photographes. Pendant le confinement j’ai profité du temps qui m’était donné pour alimenter une série sur le verre avec des carafes, des flacons qui s’assemblent. Cette série est beaucoup plus intérieure, c’est comme une sorte de nature morte.
Propos recueillis par Lisa Behot
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